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LE BRISE-CAILLOUX

bée de quelque navire passé par là, la veille ou l’avant-veille ; on en fît hommage au capitaine, mais, bon prince, il voulut que l’équipage partageât avec lui. Bien qu’un peu gâtée par l’eau de mer, la pomme fut trouvée exquise, et ce jour-là on fit bombance à bord du Brise-Cailloux.

Si le voyage avait ses bons moments, les mauvais ne lui manquaient pas non plus : coups de vent, journées de brume épaisse, nuits de bourrasques, sans sommeil… Parfois, quand la mer était trop dure, on attachait la barre, on amenait la voile, l’équipage s’enfermait dans l’entrepont, et à la garde de Dieu !

Enfin, au bout de six semaines, la côte d’Amérique apparut ; il était temps, on allait manquer d’eau. Quelques heures après, le Brise-Cailloux entrait au port d’Halifax, il me semble bien. « Ouf ! je suis arrivée, » dit la petite barque. Et, comme dans la rade il y avait trop de fond pour son ancre, elle vint s’accrocher au flanc d’une frégate qui se trouvait là. Le gros navire la regardait faire, étonné.

« D’où venez-vous ? » leur cria-t-on.

Nos trois héros se découvrirent fièrement :

« De France ! »

On ne voulait pas les croire, car jamais jusqu’alors pareil voyage n’avait été tenté.

C’est M. Vildieu fils, le dernier survivant de