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ROSE ET NINETTE

Et devant l’intonation morne, implacable, le père n’insistait plus ; on ne discute pas avec la migraine. Se tournant vers Ninette :

« Tu ne descends pas jouer avec Maurice ?

— Non, pas aujourd’hui… Je suis trop fatiguée. »

Cramponnée des deux mains à son livre, le front têtu, le menton volontaire sur son petit col garçonnier, on sentait que ni les tendres reproches du père, ni les regards implorants que levait vers la fenêtre le petit infirme traînant sa béquille dans le jardin, navré et désœuvré, rien ne viendrait à bout de sa résolution.

Tout le jour, Fagan se heurta ainsi contre une mauvaise humeur qui n’était pas seulement celle de ses filles, mais l’œuvre de l’absente, invisible et d’autant plus forte. Vraiment, était-ce la peine de divorcer, s’il lui fallait subir les mêmes scènes de ménage, suivies de mutismes dont il connaissait bien l’énervante persistance ?

Dans ce long et lamentable après-midi, il écrivit à Mme Ravaut plusieurs lettres qu’il déchirait aussitôt, trop modérées ou trop mordantes à son gré. Enfin, comme les petites le quittaient sur un baiser très froid, allaient rejoindre Mademoiselle en bas devant la porte, il remit à Rose deux lignes adressées à sa mère et qui lui demandaient un rendez-vous pour le lendemain matin.