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Les Sanguinaires

d’étincelles montent des toits en fête et vont se perdre dans le ciel froid, criblé d’étoiles. Allègre ! allègre ! Que Notre-Seigneur nous allègre !

La chanson est finie. Le vieux Trophime s’est levé, détendu, lui aussi, et rayonnant. Il taille une tranche de pain, du beau pain de Noël qui embaume l’anis et la pâte chaude, remplit à ras bords un verre de vin doré, pose le tout sur une assiette, et clignant vers moi ses petits yeux bridés :

« Dinelli dort trop bien pour qu’on le réveille, mais l’autre, le Bertolo, sa pipe lui donne soif… Je m’en vais trinquer avec lui. »

Brave homme ! J’entends ses lourdes bottes monter le petit escalier, puis le vitrage de la lanterne qui s’ouvre, et des rires, des éclats de voix heureuses dont le phare n’a pas l’habitude. Ils boivent, là-haut ; faisons comme eux. Allègre ! allègre ! Sur le rocher des Sanguinaires, Noël a tué la haine, au moins pour toute une nuit.