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LES SANGUINAIRES

l’aise, chacune avec sa cour et son petit jardin… Ah ! bonne mère des anges ! le train qui se menait là dedans !… Des cris, des miaulements, à croire que nos mouquères se dévidaient les tripes tout le long du jour. La mienne, seule Française et « continentale », comme on l’appelait, devait faire tête aux deux autres, deux vraies Corses, qui lui en voulaient de sa vaillance à tenir la maison, de son linge bien lavé, bien blanc, tendu sur des cordes en travers du jardin. Elle nourrissait aussi quelques poules que les enfants de nos voisins, des tas de petits Corsicos, mauvais comme leurs mères, s’amusaient à lui exterminer à coups de matraques. Comme si ce n’est pas nous qui aurions dû être méchants, nous qui n’avions jamais pu avoir d’enfants et dont toute cette jolie marmaille crevait le cœur.

« Tout à coup, voilà qu’après quinze ans de mariage cette grande joie d’un petit nous est donnée… De la joie, et puis bien du tourment aussi, vous pensez, quand venait l’heure du service et que je laissais ma pauvre Zani toute seule à la maison, dans l’attente de son bonheur et sans personne pour lui porter secours. Ah ! monsieur, vous parlez de haine… Lorsque ma femme s’est accouchée, le sort a voulu que ce fût en pleine mauvaise saison. Un temps comme nous en avons un en ce moment : la mer en folie, des paquets d’eau jusque dans