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LES SANGUINAIRES

lointaine de la mer contre les brisants, un noël provençal, un vieux noël de mon enfance :

Voici le roi Maure
Avec ses yeux tout trévirés

Doucement je pousse une porte, et dans la grande cuisine aux murs crépis, au dallage en damier noir et blanc, éclairée seulement par le feu de la cheminée et la pâle lueur que découpe sur la nuit une fenêtre ouverte au sud, du côté où il n’y a pas de vent, je vois le vieux Trophime accroupi devant l’âtre et qui chante, la tête entre ses mains. Il s’excuse, un peu confus : « Que voulez-vous, monsieur, c’est le soir de Noël. Vous êtes Provençal comme moi, vous savez la place que cette fête tient sur notre calendrier… Quand on est seul ces soirs-là, on pense à la femme, aux enfants… »

Et le voilà parti à me raconter son histoire, sa famille…

Il s’est marié — il y a quelque vingt-cinq ans — en terre de Camargue, au village des Saintes-Maries. Sa femme, veuve d’un gardien de chevaux, était restée seule, encore jeune, avec son garçonnet. Trophime, lui, gardait le feu de Faraman non loin des Saintes-Maries. Ils se sont connus à une ferrade, une de ces belles courses de bœufs comme il s’en donne là-bas, au rivage de la mer, et où les femmes, coiffées du velours artésien, galopent, le fer au