Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/33

Cette page a été validée par deux contributeurs.
30
ROSE ET NINETTE

Fagan se récria… Leurs toilettes !… mais le surplus de chaque mois était précisément destiné à leurs toilettes, pas à celles de Mme  Ravaut, bien sûr ; et des jeunes filles de leur âge, de leur monde, devaient se contenter de cela. Il se laissait aller à des détails de dépenses, robes, linge, chaussures, refaisant sans s’en douter une de ses ennuyeuses scènes de ménage d’autrefois ; seulement c’est à deux femmes au lieu d’une qu’il avait à tenir tête à présent ; les répliques se suivaient, fines et portant juste chez la cadette, plus troublantes encore dans la douceur et l’inconscience de l’aînée. N’invoquait-elle pas tout à coup un mariage de leur monde qui les obligerait, sans doute…

« Quel mariage ?… » dit Fagan vivement redressé.

Si prompt qu’eût été le coup d’œil de Ninette à sa grande étourdie de sœur, il le saisissait au passage, pâlissait jusqu’aux lèvres, jusqu’au fond des yeux, et d’une voix stridente et dure : « Compris !… si, si, parfaitement… J’ai compris… Mme  Ravaut se remarie… C’est son droit… Et avec qui ? Peut-on savoir ?… Cousin, n’est-ce pas ? » Les joues embrasées des fillettes, leurs gestes évasifs, décontenancés, lui répondaient mieux que des paroles et redoublaient son emportement. Non certes qu’il fût jaloux de son an-