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LES SANGUINAIRES

pillé dans l’infini du ciel et de la mer, je ne travaillais guère plus qu’à Ajaccio. À peine si j’avais le courage de jeter mes impressions de chaque jour sur un de ces petits cahiers qui, déjà dans ce temps-là, m’accompagnaient partout ; notations rapides, prises pour moi seul et sans le moindre souci littéraire. J’ai sous les yeux un cahier de cette époque, et c’est en le feuilletant que l’idée m’est venue d’en détacher quelques pages. Je m’efforcerai de laisser à mes notes leur accent d’authenticité, bien que sur ces petites feuilles amincies, élimées par le temps, avec cette encre vieillie, fanée, les mots soient comme perdus dans un lointain de rêve, à ce point évanouis que souvent ma plume a dû repasser sur eux pour les rappeler à la vie.

Lundi 24 décembre, veille de Noël.

Sept heures. Le jour s’en va. Des trois hommes de service, Dinelli, le gardien chef, vient de monter dans la lanterne pour le premier quart, de sept à onze ; Bertolo, qui doit prendre la relève jusqu’à trois heures du matin, est allé coucher sa longue et taciturne figure, ainsi que l’énorme pipe en terre rouge dont ses lèvres minces et rageuses mâchonnent le roseau, même en dormant ; enfin, le père