Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
325
Les Sanguinaires

« C’est vrai que vous seriez mieux, là pour travailler qu’à Ajaccio. »

Et tout de suite il ajouta :

« Le phare des Sanguinaires est dans mon service d’ingénieur. Il s’y trouve une chambre, que j’occupe quand je vais en inspection. Disposez-en si le cœur vous en dit. Justement, demain matin, la barque des Ponts et Chaussées va porter là-bas les vivres réglementaires et le gardien de rechange. Partez avec elle. Je vous donnerai une lettre pour le gardien chef. Dans dix jours, la barque retournera aux Sanguinaires, elle fait le voyage trois fois par mois. Si au bout de dix jours la solitude vous ennuie, vous reviendrez. Dans le cas contraire, vous resterez au phare aussi longtemps que cela pourra vous être agréable. »

Le lendemain, au point du jour, la chaloupe m’emportait avec mon bagage. Au départ, il faisait un temps radieux, mais vers midi la tramontane se leva et, pendant plus d’un mois, souffla dans la même trompette. Le phare devint inabordable, j’étais bouclé. À plusieurs reprises, la barque des Ponts et Chaussées parut au large de l’île, montrant sa carène blanche sur la mer soulevée. Nous échangions des gestes désespérés, des paroles dispersées par le vent. Tout le mois de décembre et la première semaine de janvier se passèrent ainsi. La réclusion, à la longue, me semblait lourde. Épar-