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À LA SALPËTRIÈRE

paraît s’animer de notre départ. Je me retourne une fois dehors. Sur le seuil de la cour que rien ne garde, ne ferme, qu’un grand rayon de soleil, une barre de lumière qui les hypnotise, les folles sont alignées, criant, gesticulant. Une d’elles, la vieille sœur du roi, un bras levé, l’autre arrondi sur la hanche d’un geste de vivandière, clame en voix de basse :

« Vive l’Empereur ! »

Des cours, encore des cours, des petits arbres, des bancs,, des waterproofs qui voltigent au vent glacé, s’agitent à grands pas solitaires, lugubres visions du déséquilibre humain, parmi lesquelles je note deux silhouettes.

Dans le grand ouvroir très clair, très gai, que le docteur Voisin appelle son Sénat, et où des folles en rang sur des fauteuils cousent, tricotent, une ancienne fille publique se tient à part contre la vitre. Flétrie, desséchée, elle ne parle jamais, seulement un « pst… pst… » en appel avec le sourire de profession. Plus que cela de vivant en elle, le souvenir de l’intonation et du geste infamants. Oh ! cette figure pâle derrière la haute vitre claire ; cette folle, cette morte faisant la fenêtre !

Une autre, moins cruelle :

« Vous voyez, j’attends, je vais partir, » nous dit une brave femme accotée au mur d’entrée, un sac de nuit d’une main, de l’autre une serviette épinglée sur un petit paquet de