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À LA SALPÊTRIÈRE

tinue sa course enragée. Bientôt une foule curieuse et bavarde nous entoure et nous presse. Une jeune femme en robe courte de pensionnaire, bonnet de linge éclatant de blancheur, nous raconte avec des gestes arrondis une histoire incompréhensible ; elle a un air de bonheur, de prospérité, qui fait envie. La sœur de Louis XVI, c’est elle qui l’assure, une vieille à nez et à menton crochus, dit des gaillardises à l’interne, tandis qu’à une porte ouverte du rez-de-chaussée une longue figure terreuse, crevassée, nous appelle d’un sourire aimable :

« Messieurs, je fais de la peinture : voulez-vous voir de mes œuvres ? Mais attendez que je mette d’abord mon chapeau tyrolien, je ne peins jamais qu’en chapeau tyrolien. »

La pauvre créature, un instant disparue, nous revient coiffée d’un petit chapeau vert avec une plume d’oiseau, tout à fait un de mes chapeaux de Munich, Les internes restent ébahis comme moi de l’étrange coïncidence, et la malheureuse, qui nous montre deux ou trois hideux barbouillages, semble toute fière de notre étonnement qu’elle prend pour de l’admiration. En partant, remarqué sur le mur de la cour quantité de ces petits chapeaux montagnards crayonnés au charbon par la folle.

La porte de sortie est large ouverte ; le triste bétail délirant qui nous suit piaille, jabote,