Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/296

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
293
À LA SALPËTRIÈRE

tique à lui-même, resserrant les bras, les jambes, l’être entier dans un recul d’effarement, pétrifiant cette mince face pâle où n’est plus vivante que la bouche pour un long soupir d’épouvante.

« Ah ! de grâce, réveillez-la. »

On se contente de déplacer sa vision en lui montrant des fleurs sur le tapis et lui demandant de nous faire un bouquet. Elle s’agenouille, et toujours dans cette atmosphère de cristal que briserait immédiatement l’ordre d’un interne ou du professeur, elle noue délicatement ses doigts d’un fil supposé qu’elle casse entre ses dents. Pendant que nous observons cette pantomime inconsciente, quelque chose râle tout à coup, aboie d’une toux rauque dans le vestibule à côté.

« Fifine qui a une attaque ! »

Nous courons. La pauvre enfant, renversée sur les dalles froides, écume, se tord, les bras en croix, les reins en arc, tendue, contracturée, presque en l’air.

« Vite, des surveillantes ! emportez-la, couchez-la… »

Arrivent quatre fortes filles très saines, très nettes dans leurs grands tabliers blancs, une qui dit avec un accent ingénu de campagne :

« Je sais comprimer, monsieur le docteur… »

Et on presse, on comprime, en l’emportant à travers les cours, ce paquet de nerfs en folie,