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À LA SALPÊTRIÈRE

À défaut de Balmann, on amène Fifine, un trottin de boutique, en grand manteau, le teint rose, un petit nez en l’air, la bouche bougonne, des doigts de couturière, tatoués par l’aiguille. Elle entre en rechignant ; elle est du parti de Balmann et se refuse à travailler. En vain l’interne essaye de l’endormir ; elle pleure et résiste.

« Ne la contrariez pas, » dit Charcot, qui retourne à Daret, reposée, très fière de reprendre la séance en reniflant.

Mystère du sommeil cataleptique, entretenant autour de la malade une atmosphère légère, illusionnée, de rêve vécu ! On lui montre un oiseau imaginaire, vers les rideaux de la croisée. Ses yeux fermés le perçoivent dans son aspect et ses mouvements ailés ; son vague sourire murmure :

« Oh ! qu’il est joli… »

Et, croyant le tenir, elle caresse et lisse sa main qui s’arrondit.

Mais l’interne, d’une voix terrible :

« Daret, regarde à terre, là, devant toi, un rat… un serpent… »

À travers ses lourdes paupières tombées, elle voit ce qu’on lui montre. Commence alors une mimique de terreur et d’horreur comme jamais Rachel, jamais la Ristori ni Sarah n’en ont figuré de plus sublime ; et classique, le vieux cliché humain de la peur, partout iden-