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À LA SALPËTRIÈRE

Charcot ; il faudrait qu’elle connût l’anatomie aussi bien que nous. »

Sinistre, l’automate debout dans le cercle de nos chaises, docile à tout commandement qui amène sur son visage l’expression correspondante au geste qu’on lui impose. Les doigts en bouquet sur la bouche simulant un baiser, aussitôt les lèvres sourient, la face s’éclaire ; on lui ferme le poing dans une crispation de menace, et le front se plisse, la narine se gonfle d’une colère frémissante,

« Nous pouvons même faire ceci… »

Et le professeur lui lève le poing pour frapper, en donnant un geste de caresse à la main droite. Toute la figure alors grimace dans une double signification furieuse et tendre, un masque enfantin qui rit en pleurant. Et toujours l’Allemand promène son diapason, son spéculum auriculaire, sondant l’oreille d’une longue aiguille.

« Il ne faut pas la fatiguer, dit le maître. Allez chercher Balmann. »

Mais l’interne revient seul, très vexé ; Balmann n’a pas voulu venir, furieuse qu’on ait appelé Daret avant elle. Entre ces deux cataleptiques, premiers sujets à la Salpêtrière, subsiste une jalousie d’étoiles, de vedettes ; et parfois des disputes, des engueulades de lavoir, relevées de mots techniques, mettent tout le dortoir en folie.