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À LA SALPÊTRIÈRE

« Voulez-vous nous laisser votre enfant ? Elle sera bien soignée. »

Oh ! le « non » qu’elle a dit, terrifiée, en regardant son papa… et le tendre sourire de celui-ci qui la rassure : « N’aie pas peur, ma chérie. » Il semble qu’ils devinent ce que serait sa vie dans cette maison,, qu’elle servirait aux observations, aux expériences, comme les chiens si bien soignés chez Sanfourche, comme cette Daret et toutes les autres qu’on va faire travailler devant nous, après le défilé des malades et la consultation finie.

Daret, longue fille d’une trentaine d’années, la tête petite, les cheveux ondés, pâle, creuse, des taches de grossesse, un reniflement chronique comme si elle venait de pleurer. Elle est chez elle, à la Salpêtrière, en camisole, un foulard au cou.

« Endormez-la… » commande le professeur.

L’interne, debout derrière la longue et mince créature, lui appuie les mains un instant sur les yeux… Un soupir, c’est fait. Elle dort, droite et rigide. Le triste corps prend toutes les positions qu’on lui donne ; le bras qu’on allonge demeure allongé, chaque muscle effleuré fait remuer l’un après l’autre tous les doigts de la main, qui, elle, reste ouverte, immobile. C’est le mannequin de l’atelier, plus docile encore et plus souple.

« Et pas moyen de nous tromper, affirme