Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
288
À LA SALPÊTRIÈRE

et calotte de velours, des yeux fins envahis d’une grande barbe ; assis autour de la salle, quelques invités, la plupart médecins, russes, allemands, italiens, suédois. Et commence le défilé des malades.

Une femme du Var amène à la consultation sa petite fille, hideuse, courte et boulotte, plaquée aux joues de rouges cicatrices. Dans la toilette verte et jaune d’un dimanche méridional la taille s’enfle et déborde. L’enfant est enceinte. Vase informe tombé au feu, manqué à la cuisson, on se demande comment elle a pu devenir mère. « Pendant un accès d’épilepsie… » dit Charcot, tandis que la femme du Var, geignarde et veule, nous raconte l’endisposition de sa demoiselle, comment ça la prend, comment ça s’en va. Le professeur se tourne vers l’interne :

« Y a-t-il du feu à côté ? Déshabillez-la, voyez si elle a des taches sur le flanc. »

L’accent de là-bas, cette laideur, j’étais ému ; bien plus encore à la malade suivante. Une enfant de quinze ans, très proprette, petite toque, jaquette en drap marron, figure ronde et naïve, le portrait du père, un petit fabricant de la rue Oberkampf, entré avec elle.

Assis au milieu de la salle, timides, les yeux à terre, ils s’encouragent de regards furtifs. On interroge la malade. Quel navrement ! Il faut tout dire, bien haut, devant tant de messieurs,