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AU PORT MONTROUGE

Mais la mort est une coquette. Avec elle on ne peut compter sur rien. Vous lui dites : « Arrive donc… » elle se dérobe, vous donne des rendez-vous pour le plaisir de les manquer. On ne comprend plus.

De L… en était là ; il ne comprenait plus et se demandait s’il aurait le courage de vivre jusqu’à la fin, lorsqu’une nuit de janvier, le 26, à minuit sonnant, tous les forts de ceinture et de banlieue, ces lourdes galiotes de pierre embossées à nos portes et dont les batteries tiraient sans interruption depuis trois mois, tous les forts, redoutes, secteurs, après une dernière et formidable bordée qui enveloppa la ville d’une écharpe de flamme rouge et blanche, se turent subitement : Paris était vaincu.

Trois jours après, le matin de l’évacuation des forts, par une brume dorée et tiède où se devinait un printemps adorable, pressé de nous faire oublier le glacial et sinistre hiver du siège, l’équipage de Montrouge, assemblé par compagnies, l’appel et les sacs faits, les fusils en faisceaux, attendait dans les cours les sonneries du départ. Après la nuit des casemates, cela semblait bon, ce soleil roux, cette brise fraîche et tout ce plein air où l’on pouvait s’espacer sans recevoir des morceaux de chaudron sur la tête. Des moineaux, sortis de leurs trous, piquaient le brouillard de petits cris. Malgré tout, quelque chose, serrait le cœur de nos mathurins, leur