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AU FORT MONTROUGE

Nos marins qui sont devenus des héros aujourd’hui, qui vivent dans le feu comme des salamandres, et joueraient au foot-ball avec des bombes allumées, si vous les aviez vus, il y a deux mois, quand la vraie partie s’est engagée… Ils n’en menaient pas large lorsqu’il fallait sortir des casemates… Savez-vous que l’amiral Pothuau, le soldat le plus brave de la flotte, venait deux fois la semaine faire le tour de nos remparts, rester des heures en plein feu, pour donner à nos hommes une leçon de tenue ? Cette leçon, nous en avions tous besoin à ce moment-là… Voilà la vérité, mon cher… Ne vous tracassez donc pas pour des foutaises. Vous êtes un excellent officier, que nous aimons, que nous estimons tous. Allez la tête haute, et surtout souvenez-vous : il n’y a pas de gros chagrin qui tienne, ici on ne peut mourir, on ne doit mourir qu’en combattant et face à l’ennemi.

— Je m’en souviendrai. Merci, mon commandant. »

Il s’essuya les yeux et sortit.

Entendit-il encore fredonner l’atroce refrain ? C’est-probable. Des témoins ont affirmé que, pendant les derniers jours du siège, de L… chercha la mort passionnément, prenant le milieu des cours aux heures foudroyantes, se tenant, pour commander le feu, droit et déployé comme un drapeau, sur le parapet du bastion.