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AU PORT MONTROUGE

où je passe, moi je l’entends, cette chanson, ou je m’imagine l’entendre… Ah ! bon Dieu !… La nuit, le jour, j’ai ça qui bourdonne dans ma tête avec le rire de ces bougres-là… C’est à en mourir ! »

Il avait mis sa casquette de marine devant ses yeux et pleurait tout bas, comme un enfant. Dehors s’entendait le fracas des bombes, bruit sourd de la mer sur les brisants. À chaque coup, la cabine craquait, tanguait, s’emplissait de poussière ; et la petite lampe, dans un halo rougeâtre, se balançait avec un mouvement de roulis.

« De L…, mon ami, vous êtes fou ; je vous dis que vous êtes fou… Mettez-vous là. »

Le pauvre diable se défendait, il avait honte, mais son chef l’assit de force près de lui au bord du petit lit de fer qui servait de siège, et la main sur son épaule, affectueux, paternel, dit ce qu’il fallait dire pour apaiser cette âme en détresse, la détendre. Voyons, il n’avait que des amis à bord ; et à Montrouge on n’aimait pas les lâches. D’ailleurs, pourquoi parler de lâcheté ? À qui cela n’était-il pas arrivé de saluer l’obus ? Surtout les premières fois. Venant après tout le monde, n’ayant pas eu le temps de s’acclimater, rien de plus naturel que ce tressaut nerveux, cette faiblesse d’une seconde à laquelle personne n’échappait.

« Vous m’entendez bien, de L…, personne…