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AU PORT MONTROUGE

flamme l’héroïque résolution que vous veniez de prendre, vous tous, Desprez, Kiesel, Carvès, Saisset, tombés depuis sur ce bastion n° 3, ce bastion d’honneur où vous m’êtes apparus, le matin du 31 octobre.

Ah ! ce bastion n° 3, c’est aux premiers jours de janvier, deux mois après notre visite, qu’il fallait le voir, avec ses embrasures démolies, les abris des hommes effondrés, à son mur une large brèche, et cette trombe de fer et de feu qui l’enveloppait du matin jusqu’à la nuit. Pareil au cri des paons les jours d’orage, le cornet de la vigie sonnait sans relâche. « On n’a pas le temps de se garer ! » disaient les servants de pièce en tombant. Et les autres quartiers n’étaient guère mieux abrités. Pour traverser les cours désertes, jonchées d’éclats d’obus, de bris de vitres, dans une odeur de poudre et d’incendie, les matelots rasaient les murs de leurs casernes défoncées, à l’abandon. Plus une pierre debout aux deux corps de logis de l’entrée ; les hommes de garde, comme tout l’équipage du reste, obligés de se blottir sous les blindages faits de mauvaise terre, de la terre hachée depuis deux mois par les obus, friable, sans consistance, et où les coups de casemate étaient fréquents.

Un soir, dans le réduit blindé qui lui servait de cabine, le commandant du fort voyait en-