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AU FORT MONTROUGE

capitaine de frégate en sabots qui nous guide par de longs corridors de caserne ; d’une pluie fine, une pluie de côte, rayant la grande cour où des matelots, en bérets bleus et vareuses, jouent au bâtonnet, avec des bonds, des cris d’écoliers en récréation ; enfin d’une marche interminable sur un chemin de ronde, gluant, luisant, où les semelles patinent, le long des gabions, des épaulements, des pièces de marine en batterie et des hauts talus que dépasse la silhouette d’un marin de vigie, son cornet à bouquin à la ceinture, prêt à signaler la bombe et l’obus allemands. Ce que ma mémoire a gardé de très précis, par exemple, c’est le rouf de toile goudronnée, dégoulinant de pluie, sous lequel les officiers de garde sont attablés devant des bols de café noir ; je vois ces visages rayonnants, tous ces bons sourires qui se lèvent vers nous : « Eh bien ! messieurs les terriens ? » Et debout, à l’entrée, sanglé dans sa longue tunique, de Vilers leur jetant l’atroce nouvelle :

« Bazaine s’est rendu… »

Il n’y eut pas un mot, pas un cri pour lui répondre ; mais un éclair jaillit, dont la tente fut illuminée, un éclair fait de tous ces regards confondus, de tous ces yeux noirs, bleus, mocos, ponantais, celui-là aigu comme un coup de stylet, l’autre fervent comme un cantique de Bretagne, et l’on put lire à la clarté de cette