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ROSE ET NINETTE

vrage que tenaient mal ses mains, devenues maladroites et tremblantes.

— Je lui dois pourtant mon bonheur, au divorce : il m’a délivré de la plus abominable créature…

— Oh ! monsieur de Fagan… parler ainsi d’une personne qui ne fut coupable que de ne pas vous comprendre tout à fait. Des malentendus, de l’incompatibilité d’humeur.

— Plus que cela, madame, beaucoup plus… Je vous ai dit souvent combien me plaisait en vous cette droiture, cette sincérité de la parole et des yeux. Eh bien, ce qui m’exaspérait dans cette femme, c’était le mensonge, le mensonge par goût, par instinct, chic et vanité, faisant partie de sa tenue, de ses intonations, si bien amalgamé dans tous ses actes en dangereux alliage que je n’y démêlais plus le vrai du faux. « Pourquoi ris-tu si fort ? » lui demandais-je un jour dans le cabinet de restaurant où nous soupions après l’Opéra. — « Pour faire croire à côté que nous nous amusons beaucoup. » Toute sa nature est là. Je ne me souviens pas de l’avoir jamais entendue parler pour la personne en face d’elle, mais pour une autre, là-bas, qui venait d’entrer, pour le domestique qui nous servait ou le passant dont elle voulait l’attention. Tout à coup, devant dix personnes, la voix et les yeux noyés, elle me disait : « Ô mon Régis, les îles Borromées !… Nos pre-