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Pauline, ils vinrent s’asseoir au bout du jardin, contre la grille qu’un épais rideau de glycines retombantes sépare de la perpétuelle féerie des Champs-Élysées.

Un coup de tonnerre formidable le rappela en quelques secondes à la réalité des choses. Des anneaux de poussière couraient sur la route, soulevés par une haleine chaude sentant le soufre, tandis que du fond de la vallée, en face, montait au galop de charge un nuage safran, veiné de feu, effrangé, effiloqué sur ses bords en grises déchirures de pluie ; deux pigeons blancs, seuls oiseaux dans l’espace, se débattaient, tourbillonnaient en avant de la bourrasque, éperdus, les ailes ouvertes. Presque aussitôt, le chemin s’étoilait à ses pieds de larges gouttes, très espacées d’abord, puis serrées, précipitées ; enfin la nuée se débonda, et jusqu’à Juvisy, jusqu’à la nuit tombante, il marcha sous un ruissellement de flamme et d’eau, glissant, pataugeant dans les flaques, mais sans rien voir, sans rien sentir, tout au ressassement de sa vie avec la grande comédienne et de ce qu’ils appelaient leur amour.

Oh ! cette femme à tout le monde, que les acteurs tutoyaient, à qui le plus bas figurant, le plus sordide chef de claque soufflait des ordures dans le cou, cette femme dont les petits cercleux encore au biberon, venant chercher leur matérielle à la fin du spectacle, avaient le