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un éclat extraordinaire. Tout le décor semblait s’éclairer par en bas, comme dans un paysage du Nord, mais un Nord de plein été, orageux, étouffant, où rien ne bougeait, pas une plume d’oiseau, pas un épi d’avoine. Soudain, loin, très loin, à l’extrémité d’un champ que des faucheurs invisibles se hâtaient de coucher avant l’averse, l’éclair d’un outil flamba sous un rais de soleil blanc venu de derrière lui, là-bas, péniblement filtré entre deux épais nuages, et juste au-dessus du cimetière dont la muraille de craie se profilait sur l’horizon.

Le temps d’un adieu suprême à celle qui dormait là, il se remit en route, et voilà que ce rayon perdu du couchant comme il avait frappé l’acier d’une faux lointaine, allait chercher, évoquer au fond de sa mémoire, à neuf ou dix ans de distance, par une similitude de température, aussi par l’énervement de son étrange journée, le souvenir de sa première rencontre avec la Fédor, un après-midi d’été. C’était à un raout, une garden-party à l’ambassade d’Angleterre. Elle venait de dire la Fête chez Thérèse avec cette voix prenante, un peu voilée, ce délicat emportement de tout son être… « Menez-moi à l’air, je meurs… », dit-elle à du Bréau sans le regarder, et, traversant au milieu de la foule ces somptueux salons de l’hôtel Borghèse où flotte dans l’irisement des hautes glaces l’image voluptueuse de la belle