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nous donnions Ali-Baba et Geneviève de Brabant, au bénéfice de Mme Diégo que voici. Le dimanche, dans l’après-midi, nous sommes allés tous deux, comme on fait, offrir aux notables nos programmes et des billets, pour le soir. Chez le notaire, nous avons trouvé les dames sur la terrasse, au fond du jardin, et, dès le premier mot, j’ai compris que c’était inutile, qu’il n’y avait rien à espérer. Alors, du grand fauteuil de la malade – elle est morte trois jours après – on a vu sortir une petite tête pas plus grosse que le poing, bien creusée, bien changée depuis Perpignan, et qui s’est mise à dire : « Voyons, Maria… voyons, Maria… » Pas plus que cela, mais d’une bouche si bonne, d’une douceur de voix si entrante que la petite et moi nous n’avons pu nous retenir de pleurer… Ah ! cette Fédor, elle a dû en tirer des larmes aux payants, avec une voix pareille… La femme du notaire, elle, n’y a pas été prise. Elle s’est retournée, comme piquée d’une mauvaise mouche, et elle a jeté à sa sœur : « Dis donc, toi… ce n’est pas ton argent qui danse ! » En même temps, son ombrelle nous faisait signe : « La sortie est par là… filez… »

– Et qu’elle aurait bien voulu filer aussi, la pauvre, s’en aller avec nous dans la bagnole des libres mendigos !… » dit la grande rousse aux pieds poudreux, à la livrée de misère…