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sortait de l’église, escorté de cloches et de chants ; et, tandis qu’il se reformait sur la place, ceux des Parisiens qui, pressés par l’heure du train, ne pouvaient suivre jusqu’au cimetière, venaient saluer la famille ou se faisaient inviter au dernier moment, car Desvarennes ne s’était pas trompé, il y avait un repas des funérailles. Les non-privilégiés prenaient la route de la gare avec des airs faussement pressés et des dos de mauvaise humeur. Au milieu d’un groupe de vieux célèbres, l’ancien prix de tragédie agitait ses voiles de deuil. Maître Restouble, parlant à l’ami Veillon, s’épongeait le front dans l’air brûlant ; et, sous les lauriers-roses en caisses du petit café, les reporters buvaient des grenadines, en échangeant à haute voix leurs renseignements sur l’étoile qu’on enterrait. Tous très jeunes, ces messieurs n’avaient pas la moindre notion du talent de la Fédor, mais ses aventures galantes, ses frasques de tête et de cœur, ils les savaient sur le bout du doigt, les racontaient ainsi qu’une immonde légende dont l’ancien amant, assis près de la fenêtre ouverte, ne perdait pas un mot, pas une éclaboussure. Il en éprouvait un sentiment de gêne, de dégoût, qui, venant après les récits de Desvarennes, faisait du martyre de Louise et des férocités de sa sœur les inventions d’un pochard sentimental, l’amenait à conclure :