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gnée ; ils ont dû te faire mourir à tout petit feu, te retourner sur un côté, puis sur l’autre. Et demain tous les journaux raconteront combien ta grande sœur a été généreuse pour toi. Ils rappelleront son prix de tragédie, bien près de reconnaître que c’était elle la vraie Fédor. Cela lui aura coûté si peu de chose. La peine d’inviter à ton convoi quelques-uns de tes couchers les plus illustres et, vu la rareté des trains, de garder ces vieux célèbres à dîner avec les messieurs du grand reportage. Il n’y a que nous deux qu’on n’a invités à rien du tout, qu’on a même expulsés, les deux précisément que tu as eus le plus près de ton cœur. Oh ! pas seulement nous permettre de te suivre jusqu’au cimetière, c’est un peu dégoûtant tout de même, dis, Loulou ; dis, ma petite louloute. »

Comme si elle avait pu lui répondre du fond de son verre, il se penchait dessus, l’appelait de petits noms tendres. Et enfin, son absinthe vidée d’une lampée, il s’écroula sur la table, tout sanglotant et ronflant.

Dix fois depuis sa rencontre avec ce triste personnage, du Bréau avait eu l’envie de fuir, écœuré de ses révélations, mais retenu quand même par une curiosité mauvaise, le besoin de savoir si cette malheureuse fille avait vraiment souffert à cause de lui. Voyant l’homme endormi, il se levait pour partir, quand un coup d’oeil dehors l’obligea d’attendre. Le convoi