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toutes ces lumières du boulevard, seul éclairage de sa chambre, qui papillotaient au fond de son verre, un tas de souvenirs, de confidences invoulues. J’en ai appris de drôles, ces soirs-là. Mais de plus drôles encore, quand la dèche, la grande dèche venue, la Fédor, ne pouvant plus paraître sur la scène, en fut réduite à écrire à ses anciens. C’est moi, ou, lorsque j’étais pris de boisson, ma grande fille qui portait les lettres. Ces lettres-là, voyez-vous, écrites toujours suivant les goûts du destinataire et dans le sens de sa vanité, étaient de purs chefs-d’oeuvre. Bon sang de Dieu ! les bosses de rire que nous nous donnions quelquefois, quand elle m’en lisait une, avant de la fermer. Par exemple, aux temps les plus durs de sa misère, jamais elle n’a voulu s’adresser à vous. Quelquefois, par jalousie, je la poussais à le faire, alors elle s’emportait : « Non, non, pas celui-là, je l’ai assez bassiné ; et puis il y a de trop bonnes choses entre nous, je ne veux pas le mêler à ces saletés. » Et, quand tout lui a manqué, plutôt que de vous tendre la main, elle a préféré venir s’enfermer ici, chez cette sœur menteuse et méchante, qui l’a toujours détestée pour ses succès, pour son talent, et qui s’est payé en quelques mois tout un arriéré de haine et d’envie. Pauvre Louise ! Un martyre, n’est-ce pas, un martyre abominable, ton existence dans cette maison à façade hypocrite et soi-