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cette veine… pas même ce gros emphysémateux de directeur, à qui elle a fait croire qu’il était son premier amant. D’abord son premier amant, elle ne l’a jamais connu. À un bal d’étudiants, chez Marie Fédor, une nuit, un carabin, déguisé en singe, emporta Loulou dans la chambre de sa sœur ; et pendant que la grande Fédor rigolait, la petite se laissait faire en pleurant, sans oser dire qu’elle était vierge, de peur d’avoir l’air d’une dinde. Le voilà, son premier tombeur, celui qu’on n’oublie jamais, ce fut ce gorille anonyme, oui, messieurs, parfaitement… »

Il s’animait, clamait, levait son verre, si bien que du Bréau gêné, dut s’écarter de la fenêtre et reprendre sa place sur le banc où le pochard vint le rejoindre, harcelant, intarissable :

« Que monsieur le marquis ne s’étonne pas de me voir si bien renseigné sur notre amie ; c’est que je me suis trouvé près d’elle à des heures où le besoin lui venait non plus de bâiller sa vie, comme disait l’autre, mais de la vomir. Ça la prenait le soir, entre chien et loup, dans ce petit entresol du boulevard Poissonnière, qui l’a vue des heures, immobile sur un fauteuil très bas, avec le roulement continu des voitures sous sa fenêtre. Alors, surtout quand elle avait dans la tête la chaleur d’une bonne verte, il lui montait de son ivresse et de