Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces joues hâves et décharnées, ce masque de mort guettant à travers les barreaux de fer infranchissables ce qu’il y a de plus beau dans l’existence, tout ce qui pouvait lui faire envie et regret, la maternité heureuse, la jeunesse. Par exemple, lorsqu’elle a vu venir la petite, trottant et petonnant dans sa longue blouse, quelle illumination sur cette pauvre figure d’incurable ! Elle riait, elle pleurait et disait tout bas à sa sœur en s’essuyant les yeux : « Mais regarde-la donc, la chérie !… Elle a les cheveux du même blond que son père, et elle frise comme lui. Oh ! la mignonne… la mignonne ! » Son émotion était si vive, toute tremblante, les mains tendues, il a fallu l’arracher de là, l’entraîner vers la voiture, où elle est tombée sans force. Au retour, elle ne prononça pas un mot de toute la route, resta les yeux fermés, aspirant un bouquet de fleurs jaunes, du grand ébénier qui dépasse le mur de la raffinerie. Le dimanche suivant, quand j’arrivai – j’avais pris l’habitude de venir la voir tous les dimanches –, je la trouvai comme toujours au fond du jardin, allongée dans un grand fauteuil d’un vert pâle, où sa figure ombrée, ses bras minces, ses longues mains prenaient un aspect lamentable d’épuisement. Il m’a semblé la voir dans ce dernier acte de la Dame, où Desclée seule lui était comparable. « Je ne recommencerai plus, me dit-elle à propos de sa