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ROSE ET NINETTE

« Excédés l’un de l’autre, on ne pouvait pas l’être plus que nous deux ; mais cela ne suffisait pas. « Il nous faudrait un acte décisif, » disait à ma femme son ami de Malville, musicastre enragé, en lisant avec elle au piano la dernière partition de Wagner ; « fournissez-moi un scandale, un flagrant délit, et je me charge de votre affaire. » Peut-être, sans chercher bien loin, aurais-je trouvé dans les relations de Mme  de Fagan et du cousin La Posterolle les preuves que demandait le conseiller ; mais deux raisons m’en empêchaient. D’abord ma facilité à laisser s’installer chez nous l’intimité du cousin, jeune maître des requêtes au Conseil d’État, que moi-même j’autorisais à conduire ma femme et mes filles au théâtre et dans la société, par un dégoût à sortir, ma paresse de plaisirs mondains. Puis, l’autre motif, le vrai : nos deux filles, leur mariage, leur avenir, toute ma raison de vivre désormais. Quand c’est l’homme qui est pris en faute, le monde pardonne ; quand c’est la femme, il y a un rejaillissement de honte sur la famille. Les enfants en restent touchés, marqués à jamais. Voilà pourquoi je voulus bien paraître coupable et me faire surprendre dans les conditions que vous savez.

— Et M. de Malville s’est prêté à cette comédie ? s’écria Mme  Hulin indignée.

— Je vois, madame, que vous ne connaissez