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Et du Bréau, d’un air détaché :

« À propos de boisson, et le musicien de Louise, en a-t-on des nouvelles ? Tu sais, ce Desvarennes, le chef d’orchestre qui l’a enfin consolée de son veuvage ? Il paraît qu’ils se battaient et se soûlaient d’absinthe tous les soirs. »

Veillon se retourna brusquement :

« Qui a dit ça ? Qui l’a vu ? Et puis, quand cela serait ? La Fédor n’en a pas moins été une artiste de grand talent, une belle et bonne fille qui t’a aimé du mieux qu’elle a su, ce qui vaut bien les deux ou trois heures de ton temps que tu lui donnes aujourd’hui… »

Le pavé du roi franchi, les deux amis s’engagèrent sur un de ces innombrables chemins de campagne, tout brûlants et craquants de poussière entassée, qui s’entrecroisaient à perte de vue dans ces champs de seigle et de blé éblouis et papillotants sous le soleil. L’air flambait. Çà et là l’aiguille d’un clocher, une rangée d’arbres, le crépi lumineux d’une muraille interrompaient la ligne uniforme de l’horizon, mais jamais le chemin qu’ils suivaient n’allait dans la direction de ce clocher, de cette muraille.

« Tu ne vas pas nous perdre ? » fit du Bréau s’adressant à son compagnon arrêté devant un poteau indicateur, à un tournant de route.

Veillon le rassura ; il connaissait très bien