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LE TRÉSOR d’ARLATAN

de ses costumes. Au-dessous, pour que nul n’en ignore, une ligne de sa longue écriture capricieuse et molle signant le public hommage qu’elle faisait à un vaquero de cette bouche divine, de cette gorge sans défaut :

« Au plus beau des Camarguais,
                             Sa Camargo. »

Était-ce l’épreuve jaunie, souillée, cette odeur nauséabonde et pharmaceutique ? Il n’eut d’abord qu’une sensation de dégoût. Lui qui croyait tant souffrir, qui se raidissait d’avance ! Et l’image enfin devant lui, nul doute n’étant plus possible, il savourait cette non-douleur.

« Combien voulez-vous de ce portrait ? demanda-t-il d’un ton d’indifférence. Moi, j’en donne dix pistoles, cent francs. »

Dix pistoles ! Le Camarguais en eut un saut de joie sous ses couvertes.

« Un beau morceau de chair de femme, hé ? dit-il en claquant sa langue et coulant un œil libertin… Mais pour le même prix je puis vous offrir beaucoup mieux. Si, si, vous allez voir. »

Il tira de l’autre carton et rangea soigneusement sur son lit quelques-uns de ces grands chromos qui traînent aux étalages de marchands de santibelli sur les vieux quais de Gênes ou de Marseille… Daphnis et Chloé, le cygne de Léda, Adam et Ève avant le péché, nudités