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LE TRÉSOR d’ARLATAN

jouissait, il s’attardait au coin des médailles, à ses succès de torero, commémorés par une infinité de cocardes, — couleurs fanées, dorures éteintes, — qui chacune avait son histoire et s’accompagnait de boniments glorieux.

Celle-ci lui venait du Romain, pas celui de maintenant, un autre ; il y a toujours un Romain dans les manades. Cette grande-là, avec du sang sur le bord, lui avait valu le souvenir de Musulman et celui de la belle personne en question. Pas froid aux yeux, les Parisiennes.

« Jugez un peu. Le soir de la course, il y avait eu au cercle du Forum un grand banquet en mon honneur. Voilà qu’après dîner tous ces messieurs on était là à fumer en rond autour de moi dans un salon doré tout en glaces et en lumières, quand la dame m’arrive dessus, une femme superbe avec des diamants en pluie d’étincelles sur des épaules bien roulées. Elle me plante ses yeux tout droit et me vient comme ceci devant le monde : « Bouvier, on ne t’a jamais dit que tu étais très beau ? » Ah ! la drôlesse, oser parler à un homme de cette façon… J’ai senti le rouge qui me montait et je lui ai jeté en risposte : « Et vous, madame, on ne « vous a jamais dit que vous étiez une catin ? »

Danjou se sentit pâlir. Cette affronteuse ressemblait si bien à sa maîtresse.

« Et elle ne vous en a pas voulu ? Demanda-t-il.