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LE TRÉSOR d’ARLATAN

Au matin cependant, sans dormir tout à fait, il glissa de l’insomnie à un demi-rêve de fatigue hallucinée… C’était la Camargue, mais une Camargue d’été à l’époque des halbrans, quand les clars sont à sec et que la vase blanche des roubines se crevasse à la forte chaleur. De loin en loin les étangs fumaient comme d’immenses cuves, gardant au fond un reste de vie qui s’agitait, un grouillement de salamandres, d’araignées, de mouches d’eau cherchant des coins humides. Sur tout cela, un air de peste, une brume lourde de miasmes qu’épaississaient des tourbillons de moustiques ; et, comme unique personnage dans ce vaste et sinistre décor, une femme, Madeleine Ogé, avec la coiffe de Naïs, ses joues jaunies et creuses, Madeleine bramant et grelottant au bord de la mer, sous le plein soleil inexorable qui brûle les fiévreux sans les réchauffer…

Un passage criard d’oiseaux de prime le délivra de son cauchemar, en sursaut. La bande volait bas, comme à la fin de son étape, et tirait dans la direction du Vacarès. Bon prétexte que se donna le Franciot pour prendre houseaux, carnier, fusil, et s’en aller tenir l’affût vers le pâturage d’Arlatan.