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LE TRÉSOR d’ARLATAN

allée lui demander de te guérir… N’est-ce pas, que tout ce que je te dis est vrai ?… »

Jusqu’à présent, elle avait tenu la tête baissée et fait signe en pleurant sans bruit : « C’est cela… c’est bien cela… » Mais, aux dernières paroles d’Henri, ses prunelles se levèrent, toutes verdies de larmes, avec une expression d’angoisse et d’étonnement qu’il ne comprit pas, qu’il ne pouvait pas comprendre, dans l’élan de sa pitié, dans son désir de rappeler à la santé, à la vie, cette âme d’enfant si mystérieusement blessée. Désir d’autant plus vif qu’en la réchauffant il se réconfortait lui-même, qu’en criant à Zia : « Ne désespère pas, petite, tout cela n’est qu’une épreuve, une crise qui passera, » c’est sa propre détresse qu’il encourageait.

Malheureusement, quand Charlon fut revenu puis reparti avec sa belle-sœur, l’amant de Madeleine ne songea plus qu’à sa maîtresse, et son martyre recommença. Il essayait de lire, rouvrait le poème d’Aubanel sur l’admirable canzone que l’apparition de Zia avait interrompue tout à l’heure : Depuis qu’elle est partie et que ma mère est morte… mais arrivé aux derniers vers : Oh ! qu’il fait bon dormir dans les bergeries, sur les feuilles, — dormir sans rêve au milieu du troupeau… la page tremblait, se brouillait ; et au lieu de voir une étoile entre les lignes, comme Zia, c’est Madeleine Ogé, des Délassements, qui lui apparaissait traînant ses oripeaux de