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LE TRÉSOR D’ARLATAN

entendait dans la nuit, devant la porte, laper une écuellée d’eau fraîche et de pain de chien, Naïs disait en retenant de grosses larmes :

« Ah ! monsieur Henri, si vous saviez le tourment que cette enfant me donne… Elle n’a plus son père ni sa mère ; rien que Mamette la mère-grand qui n’y voit plus, et moi, la sœur aînée, presque toujours loin d’elle… Avec ça que je n’ai pas su la prendre. Je l’aime comme si elle était de Charlon et de moi ; mais je lui fais crainte et je ne peux rien savoir de ce qu’elle a, de ce qui la désole. Ah ! quand elle est là, près de moi, des heures sans parler, avec son air de regarder en dedans, je la pilerais dans un mortier de fer pour avoir un peu de ce qu’elle pense ! Car c’est sa songerie qui est malade, la pauvre petite ; faire le mal, elle n’en est pas capable, du moins je me le figure, et c’est aussi la croyance de M. le curé.

— Alors, il aurait dû lui laisser faire son bon jour, dit Charlon en se relevant.

— Mais, badaud, tu sais bien que la dernière fois c’est la petite qui n’a pas voulu… Elle se trouvait trop indigne. »

Naïs continua, s’adressant à Henri :

« Ma pauvre sœur a, paraît-il, une maladie qu’on appelle… comment M. le curé dit-il cela ?… ah ! le mal de l’escrupule. »

Charlon l’interrompit gaîment :

« Que ce soit ce qu’il voudra, maintenant