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LE TRÉSOR d’ARLATAN

bande égale. Mais toute cette magie de l’heure et du paysage était perdue pour le malheureux garçon, qui rentrait chez lui ne songeant qu’à une chose, ne voyant qu’une chose, le portrait de sa maîtresse dans cette malle de bouvier. Car douter un instant que ce fût Madeleine, il n’y parvenait pas.

Certes, elles ne sont pas rares, les Parisiennes capables de s’exalter pour un faux matador ; mais la coïncidence du séjour de la chanteuse juste à cette époque, ce caprice cynique, brutal, bien dans les mœurs de la dame… jusqu’à cette vague tristesse dont il cherchait la cause tout à l’heure… Non ! le doute ne lui semblait pas possible. Encore un dont elle lui dirait, en pleurant sur son épaule : « C’était avant de te connaître, mon Henri. » Le bel Armand aussi, c’était avant de le connaître. Avant, pendant et encore après. Ah ! coquine… Et lui qui se croyait guéri de cette passion à fond de vase, à l’abri de ses fièvres malsaines !… Aussi, quel besoin d’entrer chez ce huron ? Et, puisqu’il avait tant fait, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout, emporter une preuve, le nom de la femme, son portrait ? Quel imbécile orgueil l’avait retenu ? Il savait bien pourtant qu’il finirait toujours par là, qu’il ne pourrait pas vivre dans cette incertitude oppressante. Il connaissait ces accès de basse jalousie, rongements, visions, nuits de délire. Mais venir les chercher