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LE TRÉSOR d’ARLATAN

fiasque de carthagène et les verres des buveurs. Merci, je reste avec Mamette à la maison.

— Comment ! tu ne viens pas à la ferrade ? »

Naïs, du haut de sa selle, jeta durement :

« Laisse-la donc, puisque c’est son caprice. »

Depuis le retour de Zia et son « bon jour » manqué, il y avait entre les deux sœurs un perpétuel échange de paroles sévères et de regards sans tendresse. Charlon, que le malentendu de ses femmes navrait, se hâta de remarquer que M. Henri n’allant pas à la ferrade, lui non plus, la petite lui fricasserait en leur absence une gardiane de poissons, à s’en lipper les doigts. Elle la faisait presque aussi bien que sa sœur Naïs.

Sur quoi, la sœur Naïs enleva sa monture avec colère :

« Bonjour à tous ! » dit-elle déjà lointaine. Et derrière les rubans envolés de sa coiffe les grignons de Camargue galopaient, la crinière au vent, balayant l’herbe fine de leurs longues queues.

Vers le milieu de la journée, Danjou, étendu sur le gazon au bord du Vacarès, s’interrogeait avec inquiétude, en écoutant briser autour de lui cette petite mer intérieure aux lames courtes. « Qu’est-ce que j’ai ? D’où me vient cet ennui vague, ce serrement de cœur ? Voilà dix jours que Paris me laisse tranquille. Je ne