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LE TRÉSOR D’ARLATAN

bien compris, mais, à un moment, ce que je lisais m’a semblé si beau, la page s’est toute brouillée, et j’ai vu trembler une étoile. »

Elle s’arrêta, émue. Danjou resta lui aussi sans parler, puis gravement :

« Cette étoile que tu as vue un jour dans Mireille, elle est dans tous les vrais poètes. Il faut les lire souvent, petite. Ils te rempliront les yeux de rayons et n’y laisseront pas de place pour… »

Un cliquetis d’étriers, des voix brutales, puis des coups à faire sauter la porte couvrirent la fin de sa phrase. Des silhouettes de cavaliers apparaissaient à travers la vitre.

« Qu’est-ce que vous voulez ? » cria Danjou s’attendant à quelque aventure de gendarmes et de braconnage.

Une voix répondit, avant qu’il eût ouvert :

« Gardez-vous… Le Romain s’est échappé ! »

Ce Romain, terreur de la Camargue, célèbre dans toutes les arènes du Midi, était un petit taureau noir, méchant et trapu, qui menait la manade de Sabran en pâturage du côté du phare et venait de s’enfuir le matin, affolé par quelque mauvaise mouche. Justement, il y avait une ferrade affichée pour le dimanche suivant, et des tas de pistoles engagées sur ce monstre de Romain, inscrit en tête de liste ; aussi les cinq ou six gardiens de la manade, en selle depuis l’aube, battaient le marais soigneusement