Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/188

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
185
LE TRÉSOR D’ARLATAN

mère était venue de Montmajour ; Naïs avait du monde près de son lit…

Elle disait cela, distraite et farouche, l’oreille aux clameurs lointaines. N’entendant plus rien, elle reprit sa place sous le caleil, au coin du feu, la place des enfants et des vieux dans nos cuisines provençales. Et là, honteuse et frissonnante, elle répondait avec candeur au Franciot qui l’interrogeait doucement, tendrement, comme un médecin et comme un père… Non, ces vilaines choses qu’elle voyait, elle ne les inventait pas, ne les trouvait pas dans son idée ; on les lui avait montrées un jour, il y a bien longtemps, sur des gravures, des coloriages…

« Mais enfin, petite Zia, les images s’effacent avec les années… Puisqu’il y a longtemps que tu ne les a vues… comment se fait-il ?

— Ah ! voilà où est le péché, voilà pourquoi je suis maudite… »

De l’élan furieux qui redressait sa petite tête, deux longues tresses d’or échappées de sa pointe venaient s’emmêler sur son cou aux rubans noirs du scapulaire.

« Oui, avec les années, les choses s’effacent, mais, quand elles s’effacent trop, ça me manque, mes yeux en ont comme soif, ils veulent retourner boire, et alors… et alors… »

Elle s’interrompit violemment :

« Qu’est-ce que vous me faites dire là, mon