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LE TRÉSOR D’ARLATAN

pour tirer quelque galejon en route… Je vais tremper la soupe… »

Son fichu ramené sur les yeux, elle se leva d’une détente et, filant en éclair devant le Franciot, porta dans la cuisine son panier plein de poisson. Le garde apparaissait en ce moment, droit sur son naye-chien, étroit petit bateau qu’il menait à l’aide d’une longue perche et qui, passé de la roubine dans l’étang, vint se ranger en face de la maison.

« Pardon, excuse, monsieur Henri… la femme vous a dit, n’est-ce pas ?… »

Charlon attachait son bateau à un pieu, déballait sa chasse et sa pêche, un bêchet et deux charlottines, nettoyait le quai du sang de l’anguille et de sa dépouille, tout en jetant à Naïs des nouvelles de la petite, très bien partie avec M. Anduze, sur la Ville-de-Lyon, capitaine Bonnardel. Au retour, il avait été retardé par la rencontre de deux gardiens de la manade d’Eyssette, qui, perdus de fièvres, allaient se faire soigner chez Arlatan.

« Quand j’ai passé avec mon barquot, l’accès venait de les prendre tous deux en même temps. Leurs chevaux arrêtés au bord du canal, droits sur leurs selles, ils grelottaient l’un à côté de l’autre en se cramponnant chacun à son long trident fiché en terre ; et ils tremblaient si fort, cla, cla, que leurs bêtes elles-mêmes en étaient toutes secouées. Heureuse-