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LE TRÉSOR D’ARLATAN

Comme s’il eût pensé tout haut, la fillette leva sa jolie tête fauve, regarda dehors, dedans, puis, son livre posé au coin de la cheminée où il manquait, elle tira la porte vivement et disparut avec la grâce effarouchée d’une chevrette qu’on dérange, en train de boire sous le bois.

Cette apparition délicieuse le hanta toute la matinée, sans qu’il sortît, s’attendant toujours à la voir revenir, et jusqu’à midi lisant des vers d’amour de Mireille et de la Grenade, devant un grand bouquet de plantes d’eau, trèfle, gentiane, centaurée, dressé par Zia au milieu de la table dans une buire de grès vert.

L’heure du déjeuner venue et rien ne bougeant encore du côté des Charlon, qu’une pincée de fumée jaune envolée dans le soleil, Henri Danjou se rendit chez le garde, dont le mas, à l’abri d’un petit bois de cannes serrées et bruissantes comme des bananiers, avec ses murs crépis à neuf, son toit de tuiles rouges, sa treille en berceau au-dessus de la porte, faisait au bord d’un grand clar d’eau vive, plein à déborder, un coin éblouissant de blanche lumière dansante. À l’approche d’un pas étranger, des abois furieux ébranlèrent la porte basse du chenil, tandis qu’une femme à genoux au ras de l’étang, les bras nus, en train de dépouiller une grosse anguille au milieu d’une flaque de sang rose, criait au chien, d’une voix limpide et jeune : « Chut ! Miraclo… taïso-te… »