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LE TRÉSOR d’ARLATAN

reux ! » songea d’abord le Franciot se souvenant de sa déception de la veille ; mais de son lit, par l’écart de la courtine bleue, il reconnaissait le titre du volume, la Grenade entr’ouverte d’Aubanel, ce livre immortel de passion et de désespoir, ce chant de tourterelle poignardée, dont le vieux Tim avait bercé sa jeunesse. Et à mesure qu’une strophe, un cri, traversaient sa mémoire :

Miroir, miroir, montre-la-moi — toi qui l’as vue si souvent

Que veux-tu, mon cœur, quelle faim te dévore ?Ah ! qu’as-tu, que toujours tu pleures comme un enfant ?

chaque fois il croyait voir trembler les petites mains brunes de Zia (car c’était Zia, bien certainement) et sur la pâleur de ses joues courir une petite flamme rose. Singulière lecture tout de même, à la veille d’une première communion !

Sans doute, la strophe d’Aubanel est pudique, mais elle brûle…

Ah ! si mon cœur avait des ailes, — sur ton cou, sur tes épaules — il volerait tout en feu

Et, en même temps que les rimes du poète, Danjou se rappelait sa causerie de la veille avec Charlon, les transes du garde et de sa femme à propos de ce « bon jour » si cruellement retardé. Pauvre petite Zia, est-ce que cette fois encore ?…