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LE TRÉSOR d’ARLATAN

fait gardien de chevaux, métier moins dur et moins dangereux, et soignant ses douleurs avec des herbes, des pommades de son invention, il avait acquis par toute la Camargue, de Trinquetaille à Faraman, une grande célébrité de mège guérisseur, surtout pour les fièvres et rhumatismes. Était-ce bien mérité ? Charlon n’avait pas assez de science pour le dire…

« Ce que je puis certifier, conclut le mari de Naïs en rallumant son falot pour le retour, c’est qu’aux halbrans de l’an passé j’avais pris les fièvres sur Chartrouse et qu’il m’a guéri en deux séances et un pot de son baume vert.

— Alors, pourquoi ne lui envoies-tu pas ta femme ?

— Naïs n’en veut à aucun prix ; elle a horreur de cet homme comme d’une salamandre ou d’une rate-pennade. Il n’a pourtant rien de déplaisant… Même ç’a été, dans sa jeunesse, un garçon superbe… Je me rappelle, tout petit, lorsque j’allais voir en rive de la mer les hommes qui joutaient à forcer les perdreaux à la course, entre ces dix grands gaillards alignés, tout nus, tout noirs, sanglés d’une courroie de cuir, c’est lui que les femmes regardaient… Et, quand il se montrait dans les ferrades, il n’y en avait que pour le beau brun, comme on lui disait… jusqu’à des dames de la ville qui couraient après… Naïs, elle, non seulement ne veut pas aller le voir, mais, quand il vient chez nous,