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LE TRÉSOR D’ARLATAN

dans le noir le Franciot, qui crut reconnaître son ancienne danseuse de Montmajour :

« Bonsoir, Naïs… »

Un rire étouffé fut l’unique réponse de la jeune femme, magiquement évanouie parmi l’ombre environnante.

Dedans, la table était mise pour un seul, la lampe et le feu allumés ; et pendant qu’une odorante soupe d’anguille aux herbes fumait sur la nappe, entre un fiasque de piquette rose et une couronne de pain très blanc, deux ou trois petits plats couverts, en train de mijoter devant la cendre chaude, à côté d’assiettes de rechange en terre jaune, disaient à la bonne franquette :

« Voilà le dîner, servez-vous. » Dans cet énorme espace noir, ce couvert mis, cette cabane déserte et allumée, c’était charmant de mystère et d’inattendu.

Il mangea de meilleur appétit encore que le matin, un volume de Mistral près de lui, sur la table, mais ne le lisant guère, hypnotisé par le grand silence de l’ombre alentour et les bruits qui, par instant, la traversaient. Tantôt un vol de grues filant au-dessus de la Cabane, avec le froissement des plumes dans l’air vif, le craquelis des ailes surmenées, gonflées comme des voiles. Tantôt une note triste qui passait et roulait au fond du ciel, en ronflement de conque marine. Sa porte ouverte, il cherchait à définir quel pouvait être cet étrange cri, quand