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LE TRÉSOR D’ARLATAN

venait manger l’avoine dans la main du gaucho, qui, descendu de cheval, sa veste de futaine sur l’épaule, de grands houseaux montant pardessus le genoux, s’accotait à la lourde selle en lisant un petit livre à couverture rose. C’était si beau, sous le soleil tombant, toutes ces crinières envolées et le geste majestueusement distrait de ce gardien distribuant l’avoine qu’il tirait d’une cartouchière de cuir, sans se détourner de sa lecture !

Danjou s’approcha, curieux, de l’homme et de son livre :

« Ce que vous lisez là doit être bien intéressant. »

Une tête assyrienne, aux grands traits corrects, à la barbe longue et grisonnante sur un teint de vieil ivoire tout carrelé de petites rides, se releva et prononça d’une voix rauque, d’un ton satisfait, zézayant entre des dents blanches et luisantes comme des amandes :

« Très intéressant, en effet, mon cér ami… Ça s’appelle… attendez un peu que je regarde… ça s’appelle… l’Anti-Glaireux. »

Voilà ce qu’il lisait, dans ce cadre grandiose, avec cette pose de héros ; une de ces notices qui entourent les fioles pharmaceutiques… l’Anti-Glaireux !… Et pour achever d’éblouir le monsieur de Paris il ajouta :

« J’en ai une provision, de ces broçurettes… Je les ai achetées à la vente d’un apothicaire de