Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
166
LE TRÉSOR d’ARLATAN

de loin en loin, gardaient l’empreinte du mistral et restaient tordus, couchés vers le sud, dans l’attitude d’une fuite perpétuelle, le Parisien se trouva devant l’étang du Vacarès, deux lieues d’eau, sans une barque, sans une voile, deux lieues de vagues rayonnantes et d’un doux clapotis attirant des bandes de macreuses, de hérons, des flamants aux ailes roses, parfois même des ibis, de vrais ibis d’Égypte, bien chez eux dans ce soleil splendide et ce paysage muet. Surtout, ce qui se dégageait pour lui de cette solitude, c’était une impression d’apaisement, de sécurité, qu’il éprouvait pour la première fois depuis son départ de Paris.

Ah ! la joie d’oublier, de ne plus penser, du moins ne plus penser à cette femme, ne plus se dire : « Cinq heures, la répétition est finie. Va-t-elle revenir tout droit du théâtre, ou si elle s’arrêtera au Suède, avec ses hideux cabots ?  » Comme tout cela lui semblait loin, en ce moment ; comme il se sentait abrité, défendu par cet espace infini d’horizons bleus et de ciel ouvert !

À mesure que le soleil descendait lentement sur l’eau, le vent s’apaisait. On n’entendait que le léger déferlis des vagues et la voix d’un gardien de chevaux rappelant son troupeau dispersé au bord de l’étang : « Lucifer !… l’Estelle !… l’Esterel !… » À l’appel de son nom, chaque bête accourait, la crinière au vent, et