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LE TRÉSOR D’ARLATAN

Les prunelles du garde étincelèrent :

« Ce n’est pas des métiers pour nos femmes, ça, monsieur Henri ; je ne saurais donc quoi vous en dire. Seulement je me rappelle qu’un soir, en Arles, je suis entré dans un café chantant où il y avait une de ces dames du théâtre, tirant un peu vers Naïs comme ressemblance. Un moment, elle a fait la quête après avoir chanté, et de la voir passer contre ma veste rude, avec toute sa peau qui luisait sous les lumières, l’idée que ça pouvait être ma femme m’a traversé, en même temps qu’une envie de pleurer, de crier, quelque chose que je ne peux pas rendre… J’ai été obligé de sortir, je crois que je l’aurais étranglée. »

Il y eut un instant de silence. Danjou, songeant à la belle impudeur de certaines femmes de théâtre, revoyait la loge de Madeleine, aux Délassements, l’actrice se déshabillant à l’entr’acte devant n’importe quel petit scribouillon qu’elle appelait « mon auteur », pendant que l’amant se dévorait, obligé de sourire, de passer des épingles à l’habilleuse avec des mains pleines de rage jalouse et d’envie de massacrer.

On arrivait à la Cabane, heureusement ; et l’installation, le déjeuner rustique devant un grand feu clair de pieds de vigne et de tamaris, rejetaient bien loin toutes ces infamies. Tandis que Charlon, lambin à table comme tous les