Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
147
ROSE ET NINETTE

femme les a accaparées. Mon avocat me l’avait bien prédit. Ç’a été un travail de fourmi, de taret, lentement, par petits coups et jour à jour… Et dire que jusqu’à la fin de ma vie je suis lié à cette créature, qu’elle ne me lâchera jamais ! Après le mariage de Rose, nous nous retrouverons au mariage de Ninette ; plus tard, devenus grands-parents, nous nous rencontrerons à des baptêmes. Je l’aurai pour commère, vous verrez, une commère qui apprendra à mes petits-enfants à me détester, ainsi qu’elle l’a appris à mes filles… Ah ! le divorce, ce tranchement du lien, que je célébrais comme une délivrance, vous rappelez-vous… dont j’étais si joyeux, si fier… Mais, quand on a des enfants, le divorce n’est même pas une solution. »

Mme Hulin secoua doucement la tête :

« Avec des enfants, la séparation ne vaut guère mieux… Elle n’est qu’apparente, fictive… L’enfant reste toujours entre le père et la mère. »

Ce fut exprimé de cette voix profonde, sombrée, dont elle confessait ses vrais chagrins ; car son timbre habituel était de cristal vibrant et limpide comme tout son être.

« Alors, quoi ?… que faire ? » murmura Fagan.

Après un long silence où mouraient les dernières mesures d’une marche de Lohengrin, il acheva tout haut le muet conciliabule de leurs deux pensées :