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ROSE ET NINETTE

lin quand il arriva près d’elle ; et, tout en s’informant s’il n’avait pas eu froid, sa voix trahissait une inquiétude inexprimée, cette peur instinctive de la femme devant un danger qu’on lui cache et qu’elle devine. Qu’était-ce ? Que venait-il d’apprendre qui lui torturait les traits à ce point ?

« Si vous vous asseyiez un moment… peut-être n’est-ce qu’un peu de fatigue.

— Marchons, au contraire. J’ai besoin de sentir votre bras sous le mien. »

Il s’aperçut qu’elle tremblait, aussi mal à l’aise et troublée que lui. Fallait-il, malgré sa résolution de tout à l’heure, s’expliquer franchement et tout de suite, délier cette incertitude qui leur étreignait le cœur ?… L’enfant courant devant eux, ils avaient suivi machinalement la terrasse de gauche ; celle de droite, à cette heure, débordant de promeneurs jusque sur les balustres, à cause de la musique dont les accords leur arrivaient, brisés, entrecoupés, à travers les feuilles, avec les cris aigus des enfants, des hirondelles, cette vie frénétique et tourbillonnante des petits qui s’exaspère à mesure que la lumière s’en va. Et la promenade lui semblait si douce dans l’accalmie de cette fin de jour, la femme à côté de lui si fraîche sous son deuil, le teint limpide comme celui de son enfant, que Fagan n’eut pas le courage de troubler ces harmonies reposantes et se con-